Quelques heures de marche en forêts avec un ancien

Forêts

République Démocratique du Congo : quelle alternative au modèle des concessions industrielles ?

Quelques heures de marche en forêts avec un ancien "cubeur" ayant travaillé pour la société Cotrefor sont très riches d’enseignements.

Léonard nous raconte son travail, comment il était censé “contrôler” les coupes, les consigner dans un carnet et noter soigneusement le volume concerné. Cela servait, entre autres, à rétribuer la communauté : en fonction du nombre de mètres cubes de telle essence exploitée, ce sont autant de dollars reviennent à la communauté.
Il nous montre son carnet où l’on découvre que ce sont de 2 à 5$ par mètre cube selon qu’il s’agissait d’Iroko, de Sapelli ou d’Afrormosia. Mètre cube qui se négocie entre 300 et 400$ par exemple pour l’Afrormosia à l’exportation (selon les prix mercuriales officiels années 2011).

Le carnet de Leonard (c) Clément Tardif / Greenpeace

Des communautés qui ignorent leurs droits

Un peu plus loin sur la nationale 6, dans la localité de Yahonde, très proche de l’ancienne « base-vie » de la Cotrefor, on découvre six grumes de Sapelli abandonnées… depuis un an.

Quand la Cotrefor a brutalement quitté les lieux sans explications, des ouvriers ont voulu emporter ces grumes mais les habitants les en ont empêché. Depuis, elles attendent là. Les villageois nous disent avoir peur d’y toucher et surtout ne pas avoir les moyens matériels pour les exploiter.

Ce qu’ils ne savent pas, c’est qu’au bout d’un an, du bois abandonné de la sorte revient définitivement à l’État et potentiellement à la communauté (arrêté 035 du 5 juin 2006, article 41).
Ils pourraient éventuellement contracter un exploitant artisanal qui viendrait débiter ou en tout cas acheter ce bois. Pour que ces Sapellis de la forêt de Yahonde n’aient pas été coupés pour rien. Mais ils ne connaissent pas leurs droits.

Le constat d’échec de décennies de concessions forestières industrielles

Les villageois des communautés que nous avons rencontrés regrettent les promesses non tenues, les cahiers des charges non respectés, ils dénoncent la répression souvent violente qu’ils subissent (Lire notre billet Exploitation industrielle du bois en République Démocratique du Congo : populations sous tension). Des grumes abandonnées, des villages démunis, et quelques dollars par mètre cube de bois extrait. Des miettes.

des enfants sur les grumes abandonnées de Yahonde (c) Clément Tardif / Greenpeace

Le modèle des concessions forestières industrielles tel qu’il existe en République Démocratique du Congo ne fonctionne pas. Ce modèle a plusieurs décennies et il n’a ni protégé la forêt ni apporté le développement promis, que l’on parle de compagnies européennes ou asiatiques.
Mais quelles pourraient être les pistes de solution ? Au mois d’août, on apprend que le gouvernement vient de faire passer à Kinshasa un décret très attendu : le décret des forêts des communautés locales.

Les forêts des communautés locales : une piste pour le bassin du Congo

Ce décret fixe les règles d’attribution de concessions forestières aux communautés et rend enfin opérationnel l’article 22 du Code forestier datant du 29 juillet 2002 :

« Une communauté locale peut, à sa demande, obtenir à titre de concession forestière une partie ou la totalité des forêts parmi les forêts régulièrement possédées en vertu de la coutume. Les modalités d’attribution des concessions aux communautés locales sont déterminées par un décret du Président de la République. L’attribution est à titre gratuit. »

Un rappel utile et important : en République Démocratique du Congo, la terre et les forêts appartiennent à l’État qui en concède une part à des sociétés forestières industrielles (14,7% des 40 millions d’hectares de forêts). Les communautés ont en général un « droit de jouissance« . Avec le nouveau décret, en théorie, c’est une superficie de 50 000 hectares de forêts pour « plusieurs tenants de forêts » qui pourrait être attribuée gratuitement et perpétuellement à une ou plusieurs communautés. Concrètement, ce sont les communautés qui géreraient, exploiteraient leurs forêts et en tireraient profit.

Mais dans un pays comme la République Démocratique du Congo, ce type de mesure ne fonctionnera qu’avec un renforcement de la gouvernance forestière et des capacités de l’administration, pour veiller à ce que ces “forêts des communautés locales” ne produisent pas d’effets contre-productifs. C’est ce que faisait remarquer l’ONG britannique Rainforest UK dans un rapport en septembre.

Ceci dit, il s’agit d’une piste intéressante pour les pays du bassin du Congo, qui a fait ses preuves en Amérique latine par exemple, comme le montre un rapport des ONG américaines WRI (World Ressource Institute) et RRI (Right and the Ressources Initiatives) paru l’été dernier et portant sur 14 pays. On y apprend que 513 millions d’hectares de forêts dans le monde sont gérés aujourd’hui par des communautés locales et celles-ci protègent bien mieux leurs forêts que l’État concessionnaire (Lire l’article du Figaro : Les communautés locales, rempart contre la déforestation ).

Si ce sont là des pistes de réflexion pour l’Afrique et le bassin du Congo, il ne faudra pas pour autant calquer à l’identique un modèle qui aurait fait ses preuves ailleurs, tant les coutumes, la démographie et la relation des communautés à leurs forêts sont uniques.

Pour qu’un jour, les localités de Yahonde, de Boli-Sud, les groupements Popolo ou Bagenza, aujourd’hui en conflit avec des compagnies industrielles, puissent eux-mêmes exploiter durablement leurs forêts et en tirer profit, il faudra surtout du temps, de la volonté et de la concertation.

Ce billet a été rédigé par Sylvain Trottier chargé de communication à Greenpeace France, qui s’est rendu sur le terrain avec les équipes.