« Quand je suis arrivée dans le village de Babensi II en juillet dernier, les membres de la communauté attendaient des réponses de la part de Greenpeace et de nos partenaires sur la manière dont ils pourraient retrouver leurs terres. Depuis maintenant trois ans, ils sont nombreux à ne plus avoir accès à leurs champs et à leurs récoltes. Ils leur ont été pris illégalement par la plantation de palmiers à huile de SG Sustainable Oils Cameroon (SGSOC), sans consultation ni accord de leur part. Le marché de Babensi II est depuis quasiment vide.
A Nguti, à 23 kilomètres de Babensi II, le même scénario s’est répété. Plusieurs dizaines de fermiers ont afflué dans la salle municipale pour nous faire part de leur crainte de voir un jour leurs fermes saisies par SGSOC. Susan Tah Agbo, dans un discours teinté d’une grande émotion, nous a expliqué qu’un jour, elle avait observé que des arbres dans la forêt tout près de son village avaient été marqués. Ces marques sont apparues après qu’une réunion a été organisée avec des cadres de l’entreprise, venus expliquer leurs projets de développement dans la zone. Les villageois avaient alors demandé à ce qu’une zone tampon de 5 kilomètres au-delà de leurs champs soit respectée, une requête que SGSOC a apparemment ignorée.
Ce n’était pas la première fois que nous rencontrions ces fermiers, qui subissent les conséquences de cet accaparement des terres depuis plus de sept ans, depuis que SGSOC s’est installé dans la région. Vous avez probablement déjà entendu parler de ce scandale quand cette plantation appartenait encore à l’entreprise Herakles Farms, basée aux Etats-Unis (EN). Depuis qu’elle s’est retirée du projet, la plantation de palmiers à huile est exploitée par SGSOC, qui détient un titre de concession pour une surface d’environ 20 000 hectares. Alors que son bail foncier provisoire expire en novembre, les attentes des communautés n’ont jamais été aussi grandes de voir le gouvernement mettre un terme à ce projet.244 fermiers (231 de Nguti et 13 de Babensi II) ont fait preuve de leur détermination en déposant deux plaintes collectives au Tribunal de Première instance de Bangem (province du Sud-Ouest du Cameroun) le 27 septembre dernier pour violation de propriété. IIs seront entendus le 9 novembre prochain. Greenpeace salue cette action qui marque le premier pas pour que ces communautés obtiennent enfin justice. Avec nos partenaires, nous nous joignons à leur combat en lançant aujourd’hui une pétition pour demander au gouvernement camerounais de ne pas prolonger ou renouveler ce bail.
Non seulement SGSOC aurait utilisé des pots-de-vin et tenté d’intimider les communautés, mais ils ont aussi menti à des dizaines de travailleurs, qui ont été licenciés sans préavis ni indemnités alors que leurs contrats couraient encore pour plusieurs mois. Une réunion de conciliation a été organisée au Bureau du travail de Mundemba le 14 septembre dernier entre 45 anciens employés de SGSOC et des représentants de l’entreprise. Comme ces derniers ne se sont pas présentés, cette affaire est désormais entre les mains de la justice civile à la cour d’appel de Buea.SGSOC a aussi promis de nombreux avantages aux communautés qui acceptaient de céder leur terre à la plantation. Pourtant, quand je me suis rendue dans la zone en juillet dernier, beaucoup se sont plaints que malgré les promesses, SGSOC n’a pas aidé les communautés. Ils n’ont pas amélioré l’accès aux écoles ou aux services de santé, ni fourni l’électricité. Les routes sont toujours dans un état désastreux.
J’ai grandi dans une région forestière, j’ai donc pleinement conscience de l’importance qu’a la forêt pour les communautés qui vivent autour. Elles ont besoin de ces terres pour cultiver et gagner un peu d’argent grâce aux produits forestiers autres que le bois, qui leur permettent de se nourrir, mais aussi d’envoyer leurs enfants à l’école, à l’université, et bien d’autres choses encore. Comment un projet qui exproprie les communautés et détruit les forêts pourrait être durable? Le gouvernement camerounais doit s’assurer que les entreprises qui s’installent dans le pays participent à son développement économique tout en respectant les communautés locales ainsi que l’environnement. La plantation de SGSOC ne remplit aucun de ces critères.
Pendant les trois années qu’a duré son bail foncier provisoire, cette entreprise n’a fait preuve d’aucune bonne volonté. Il n’est pas difficile alors d’imaginer tout le mal qu’elle pourrait faire si son bail était prolongé ou renouvelé.Nous camerounais, africains, avons la responsabilité de protéger nos ressources et de nous assurer que notre héritage ne nous est pas confisqué.
Ces communautés ont besoin de nous. »
Sylvie Djacbou Deugoue
Chargée de campagne forêt, Greenpeace Afrique