Comment prouver qu’une grume, c'est-à-dire un tronc de bois précieux, est il

Forêts

République Démocratique du Congo : à la recherche du bois illégal

Comment prouver qu’une grume, c’est-à-dire un tronc de bois précieux, est illégal ou pas, une fois qu’il est déchargé d’un cargo dans un port français, à Caen ou La Rochelle ?

Unmarked Timber on Truck in DRC

Depuis sa récolte dans une forêt de la République Démocratique du Congo, loin de tout et surtout loin des regards, jusqu’à son débitage en Europe par exemple, le bois va parcourir des dizaines de kilomètres sur des pistes, des centaines de kilomètres sur le fleuve Congo, puis des milliers par voie maritime. Il va passer de mains en mains, d’intermédiaires en intermédiaires, sortir officiellement de République Démocratique du Congo, parfois avec les bons papiers et les bons tampons… au départ d’un pays à la corruption galopante, sans contrôle strict et où 90% du bois exploité serait illégal selon un récent rapport de Chatham House.

Mais reprenons au début. Qu’est ce que du bois illégal? Quels sont les critères qui font qu’une grume est légale ou illégale ?

Pour le savoir, vraiment, il faut se rendre sur le terrain, même s’il n’est pas aisé – voire dangereux – de trop s’approcher de l’exploitation industrielle en cours.
C’est ce que des représentants de Greenpeace et d’autres ONG locales ont fait cet été : ils se sont rendus au cœur d’une des provinces forestières de République Démocratique du Congo, dans le district de Lisala, Province de l’Équateur, sur les rives du fleuve Congo. (lire l’article précédent : Exploitation industrielle du bois en République Démocratique du Congo : populations sous tension)

Cas n°1 : Et au milieu coule une rivière… Illégal !

A l’est de Lisala, dans le district de la Mongala, dans la Province de l’Équateur, la Compagnie de Transport et d’Exploitation Forestiere Cotrefor exploitait jusque récemment de l’Iroko, de l’Afrormosia, de l’Acajou d’Afrique, du Sapelli… avant de vider les lieux en emportant tout leur matériel.
Après quelques heures de marche, en s’enfonçant dans la forêt au coeur du groupement Boli Sud, on peut voir les stigmates de cette exploitation certes « sélective » mais qui ne semblait pas toujours respecter la législation en vigueur et surtout le code forestier :
Extrait de l’article 42 de l’arrêté Ministériel No 035/CAB/MIN/ECN-EF/2006 DU 05 octobre 2006 relatif à l’exploitation forestière :

« Sauf stipulations contraires du permis de coupe il est également interdit de couper les arbres[…] sur une distance de 50 mètres de part et d’autre des cours d’eau et dans un rayon de 100 mètres autour de leurs sources. » 

Extrait de l’ article 48 de la loi 011/2002 du 29 Août 2002 Portant code forestier :

« Est interdit, tout déboisement sur une distance de 50 mètres de part et d’autres des cours d’eau et dans un rayon de 100 mètres autour de leurs sources. »

En s’avançant, on découvre une immense grume. Il s’agit d’une grume d’Acajou d’Afrique, abandonnée là par la Cotrefor, qui a quitté la région brusquement il y a un an, sans explications, emportant tout leur matériel et laissant les populations avec des promesses non tenues et des grumes abandonnées.
Mais cette grume pose d’autant plus problème qu’elle a été abattue à moins de 50 mètres d’un cours d’eau, ce qui est totalement illégal. Pourquoi? Parce qu’une telle grume peut perturber le cycle de l’eau de la zone, l’irrigation, l’agriculture.

Cas n°2 : grumes abandonnées… illégal !

Extrait de l’article 42 de l’Arrêté Ministériel No 035/CAB/MIN/ECN-EF/2006 du 5 octobre 2006 relatif à l’exploitation forestière. Est interdit :

« L’abandon sur le parterre de la coupe des produits bruts ou façonnés ayant une valeur marchande »

Cette gigantesque grume d’acajou d’Afrique a été laissée à l’abandon et pourrit là, sur place ! Pourquoi l’avoir abandonnée? A priori, nous explique notre « guide », les ouvriers en charge avaient sous-estimé la difficulté du débardage c’est-à-dire la façon dont ils pouvaient dégager la grume puis l’emporter par la suite. L’abattage est une chose mais cette question du débardage nous rappelle que pour un arbre abattu c’est souvent l’équivalent d’une route qu’il faut tracer en pleine forêt pour le sortir et le vendre.
Le cas de cette grume abandonnée pose d’autant plus problème que cette pratique est courante mais quasiment jamais sanctionnée… et que l’arbre a véritablement été abattu pour rien…

Cas n°3 : coupe en dessous d’1,3 mètre… illégal !

EDIT : après avoir lu certains commentaires, nous avons réalisé que ce cas n’était pas assez détaillé, et en avons donc rédigé une nouvelle version :
En revenant sur nos pas, notre “guide”, un paysan anciennement employé par la société forestière attire notre attention sur une souche.
Il s’agit des restes d’un acajou d’Afrique qui a été coupé à moins d’1,3 mètre de hauteur, ce qui contrevient à ce qui figure dans un « guide opérationnel » du Ministère de l’Environnement Congolais élaboré par des bailleurs de fonds et des ONG pour aider les exploitants forestier à bien appliquer le code forestier. Dans ce guide figurent des normes, des règles à mettre en œuvre sur le terrain pour une exploitation dite durable. A en croire ce que nous voyons ici et dans de nombreux autres cas, ces normes ne sont pas connus de tous les exploitants, ou en tous cas pas appliquées. Le permis de coupe est le n°56 et le bloc n°8.
A ce propos, lire notamment l’annexe 5 du « Guide opérationnel – Normes d’aménagement forestier – juillet 2007 » qui stipule la prise de mesure du DHP, diamètre à hauteur de poitrine, hauteur à laquelle on doit mesurer le diamètre mais aussi en dessous duquel on ne doit pas couper l’arbre.

(c) Greenpeace / Clément Tardif

Pourquoi une telle règle ? En coupant en dessous d’1,30 mètre se pose la question de la régénération des essences. L’exploitation d’un arbre ne signifie pas obligatoirement sa mort complète. Il s’agit ici de se rassurer que l’arbre est coupé à un niveau où les bourgeons peuvent se régénérer.
L’abattage de cette grume ne respecte pas les règles censées être appliqués par les exploitants sur le terrain. Cette grume est partie sur le circuit commercial, et a peut-être été exportée vers l’Europe ou la Chine.

Parmi les autres critères d’illégalité régulièrement évoqués par les villageois que nous rencontrons : la coupe d’essence en dessous du diamètre autorisé.

On nous raconte qu’en ce qui concerne l’Afrormosia, une essence très prisée, les exploitants de la région ne sont pas très regardants sur le diamètre réglementaire et n’hésite pas à abattre des arbres jeunes. L’Afrormosia est classée à la CITES, son abattage et son commerce obéissent à des règles très strictes, notamment en ce qui concerne le diamètre limite.

Extrait de l’article 42 de l’Arrêté Ministériel No 035/CAB/MIN/ECN-EF/2006 DU 05 OCTOBRE 2006 relatif à l’exploitation forestière:

« Sont interdits : l’abattage des arbres dont le diamètre est inférieur au diamètre minimum d’exploitation prévu pour chaque espèce » 

Autre pratique totalement illégale qui a été évoquée devant nous : le maquillage de grume.

Dans ce cas, il s’agit surtout de blanchir du bois illégal, qui serait coupé en trop sur un bloc ou un permis de coupe, ou sur une zone non-autorisée. Évidemment il est très difficile de constater et de prouver cette pratique. Cependant comme Greenpeace le rappelait dans un rapport il y a un an : « Dans un rapport transmis en octobre au ministère de l’Environnement, l’ONG britannique Global Witness avertissait sur les risques liés aux grumes portant cet ACIBO. En effet, des enquêtes de terrain de Global Witness, preuves photographiques à l’appui, démontraient que de nombreuses grumes portant l’ACIBO 48/12/EQ/20 avaient été maquillées et leur marquage remplacé par l’ACIBO 83/12/EQ/20 »

Et ce ne sont que quelques irrégularités vues ou entendues sur le terrain lors d’un séjour relativement court. Pourquoi une telle impunité? Pourquoi aussi souvent violer la loi? Le code forestier est censé être connu de tous, et en premier lieu par les exploitants forestiers ! La réponse? C’est tout simplement parce que la République démocratique du Congo et son secteur forestier ont un vrai problème de gouvernance, l’État manquant complètement de moyens et de volonté pour le contrôler.

Alors, quelle solution ?

La réponse est en partie dans la pression que peuvent mettre les importateurs, notamment européens, en étant extrêmement exigeant sur le contrôle de la légalité vis-à-vis de leurs fournisseurs au Congo. C’est ce qu’est censé faire la Réglementation Européenne sur le Bois (dite RBUE). Faut-il encore qu’elle soit appliquée. Ce qui n’est toujours pas le cas en France.

Revoir notre webdocumentaire : Bois Volé – Vies Volées

Ce billet a été rédigé par Sylvain Trottier chargé de communication à Greenpeace France, qui s’est rendu sur le terrain avec les équipes.