Exploitation industrielle du bois en République Démocratique du Congo : populations sous tension - Greenpeace France
Face aux promesses non tenues, face au sentiment d’être abandonnées par l’État et les autorités locales... il ne reste que la colère aux communautés.

Forêts

Exploitation industrielle du bois en République Démocratique du Congo : populations sous tension

Face aux promesses non tenues, face au sentiment d’être abandonnées par l’État et les autorités locales... il ne reste que la colère aux communautés.

Selon la Réglementation sur le Bois de l’Union Européenne, il revient désormais aux importateurs de bois tropical de prouver que le produit qu’ils importent a été récolté dans le respect de la législation du pays d’origine.

Dans un contexte à fort risque d’illégalité, comme en RDC, ce règlement oblige les importateurs à aller au-delà des papiers officiels présentés par leurs fournisseurs. Mais le font-ils? Les importateurs ont-ils une idée concrète de la façon dont, par exemple, les compagnies industrielles cohabitent avec les communautés forestières et respectent leurs engagements légaux à leur égard?

Pour en avoir le coeur net, la présence sur le terrain s’impose, là où les compagnies sont les seules maîtres à bord…

C’est ce que des représentants de Greenpeace et d’autres ONG locales ont fait cet été : ils se sont rendus au cœur d’une des provinces forestières de République Démocratique du Congo, dans le district de Lisala, Province de l’Équateur, sur les rives du fleuve Congo.

Du bois et des Hommes : à l’ouest, la SICOBOIS

À l’ouest de Lisala, la compagnie Belge SICOBOIS exploite depuis 17 ans les forêts des « groupements » Mundounga, Mbagenza, Popolo. C’est cette société forestière dont Greenpeace a dénoncé les pratiques illégales en saisissant symboliquement une grume dans le port de Caen en France le 8 janvier dernier.

Le cas de la société Sicobois implique néanmoins bien plus qu’une simple exploitation forestière illégale. De récentes recherches sur le terrain menées par Greenpeace Afrique ont révélé l’escalade des conflits sociaux existants de longue date et liés aux activités de Sicobois dans la province de l’Équateur. Ainsi, en octobre 2013, des employés de la société se sont montrés violents à l’égard de deux membres de la communauté locale. Lire le rapport d’enquête.

Dans la localité de Bokweli, un vif conflit oppose la communauté à la société forestière. Au cœur du problème, le cahier des charges que doivent négocier les compagnies avec les communautés en échange de l’exploitation du bois précieux de leurs forêts. A Bokweli, la SICOBOIS devait réaliser notamment une école et d’autres ouvrages sociaux… L’école a été construite en 2005 mais jamais terminée. Elle est en brique adobe (argile moulue) et tombe en ruine. 360 élèves sont ainsi obligés d’étudier dans des conditions déplorables

école inachevée de Bokueli(c) Greenpeace / Clément Tardif

Début juillet, la population s’est révoltée et a « saisi » un engin de la SICOBOIS, exigeant que la compagnie arrête d’exploiter leur forêt. Après des interventions de la police et des militaires, et malgré des négociations le 5 août 2014 entre les notables de Bokweli, le Directeur d’exploitation de la SICOBOIS et son PDG venu de Kinshasa, la situation reste bloquée. Mais la compagnie continue d’exploiter et d’exporter.

Lucy Poki, épouse de l’ancien chef de localité, résume ainsi :

« Nos arbres sont abattus, exportés, parfois abandonnés, l’école est dans un état désastreux, elle n’est pas entretenue, nous n’avons que les écorces des grands arbres pour fabriquer les cercueils de nos morts. On ne sait pas du tout où l’on va avec l’exploitation forestière… »

Dans le groupement Popolo, à quelques dizaines de km, l’ancien Président du Comité de gestion, Monsieur Gbégbé Bokoyo, 74 ans, explique :

« La société ne respecte pas ses engagements. Par exemple, la société remplissait ses « déclarations trimestrielles de coupes », c’est-à-dire le nombre de mètres cube de bois exploités sans offrir à la population la possibilité de vérifier comme c’est normalement prévu dans le code forestier. Selon le volume coupé, ils doivent dédommager la communauté. Mais ils ne veulent pas qu’on sache le réel cubage et surtout quelles essences ont été récoltées… »

Gbegbe Bokoyo (c) Greenpeace / Clement Tardif

Dans ce groupement, les réalisations visibles sont les suivantes : un bureau inachevé, un tronçon de route et… c’est tout. Alors que les clauses sociales du cahier des charges était pourtant claires.

Du bois et des Hommes : à l’est, Cotrefor

A l’est de Lisala, le long de la route nationale N6, au cœur de la concession de la compagnie Cotrefor, on retrouve les mêmes conflits, la même souffrance des communautés, la même colère. La Cotrefor a quitté précipitamment les lieux il y a quelques mois, sans explications, en emportant la totalité de son matériel et en abandonnant de nombreuses grumes.

Une véritable désertion, après des années de promesses non tenues, d’ouvrages non réalisés, de violence et d’arbitraire.

Philippe Linduku Mbomga, ancien Président du comité de gestion du groupement « BOLI SUD » demandait à la compagnie de respecter le cahier des charges. Il a été accusé d’avoir fait ériger des barrières par la population pour empêcher l’exploitation. Ce qu’il dément. Il a été arrêté une première fois en avril 2013. Il a été emprisonné 10 jours, relâché puis à nouveau emprisonné. Pour sortir de prison il a fallu qu’il trouve 200 000 francs congolais à chaque fois (plus de 170 euros). Une fortune.
Dans le cahier des charges, que Philippe Linduku Mbomga souhaitait voir appliquer, il y avait 6 écoles, un centre de santé, un tronçon de route. Concrètement, les réalisations sont les suivantes : 2 écoles, 1 école inachevée, pas de centre de santé, pas de tronçon de route.

Philippe Linduku Mbomga devant l’école inachevée (c) Greenpeace / Clément Tardif

Sur les parcelles attenantes à cette localité, la COTREFOR exploitait de l’Iroko, de l’Afrormosia, de l’Acajou, du Sapelli. Avant de vider les lieux purement et simplement.
Une exploitation qui a bouleversé le mode de vie des populations : ainsi, la chenille du Sapelli est l’un des insectes comestibles les plus nourrissants au monde. 100g de chenilles Sapelli contiennent plus de protéines, de lipides ou de glucides que 100g de bœuf.

Un villageois explique ainsi que :

« Le Sapelli abrite des chenilles qui sont la base de l’alimentation de nos communautés puisqu’elles sont pleines de protéines. L’abattage peut poser des problèmes pour nos habitudes alimentaires. »

Chenilles Sapelli (c) Greenpeace / Clément Tardif

Autre exemple : le Lisenge, un arbre à chenilles lui aussi, est souvent abattu pour construire les ouvrages ou infrastructures nécessaires à l’exploitation. La Cotrefor avait ainsi abattu plusieurs Lisenge – et détruit les chenilles Mboyo qui vont avec- pour construire un pont.
Notons qu’une partie de la cargaison du cargo Safmarine Sahara, bloquée en juin dernier dans le port de La Rochelle par Greenpeace, provenait de cette concession.

Légal ou illégal, la notion concernant les grumes de bois précieux est toujours très ambiguë.

En effet, une concession sur laquelle de nombreux engagements légaux de la compagnie (tel que le respect du cahier des charges signé avec les communautés) ne sont pas respectés, peut-elle exporter en Europe comme si de rien n’était? C’est tout le débat autour de l’application de cette nouvelle Réglementation qui a pour premier objectif d’améliorer les pratiques du secteur forestier dans les pays comme la République Démocratique du Congo.


Revoir notre webdocumentaire : Bois Volé – Vies Volées

Ce billet a été rédigé par Sylvain Trottier chargé de communication à Greenpeace France, qui s’est rendu sur le terrain avec les équipes.